#116 - Du 27 mars au 20 avril 2009

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Entretien avec Eric Laurrent


Quel �tait le projet initial de votre dernier livre, Ne pas toucher ?

Je voulais d�crire la relation entre un homme et une femme vue uniquement du point de vue de l'homme, relation fond�e sur un interdit : lui la d�sire et pour un ensemble de raisons et d'obstacles, il ne peut pas la poss�der. J'avais v�cu une situation de ce type et je voulais �crire sur ce sujet. Une fois ce th�me d�gag�, �a m'a ramen� � la litt�rature tragique du 17�me fond�e sur le rapport conflictuel que peuvent entretenir la loi et le d�sir -comme chez Racine, mais aussi chez Madame de La Fayette. Ne pas toucher �tait initialement une r��criture de La Princesse de Cl�ves. M�me apr�s la mort de monsieur de Cl�ves, la Princesse repousse Nemours en disant que l'histoire qu'ils pourraient vivre aboutirait de toute fa�on � de la douleur et que le jeu n'en valait pas la chandelle� Dans chaque histoire d'amour, on reproduit le m�me sch�ma. Pourquoi relancer le processus puisque tout finit toujours par se corroder, se d�liter ? Pourquoi ne pas se dire : " C'est du bonheur, mais c'est aussi tellement de souffrance, est-ce qu'il ne vaut mieux pas s'en tenir l� ? " C'est une question que je me suis souvent pos�e.

La part d' autobiographie dans vos livres semble plus importante qu'il n'y para�t�

Pas dans les premiers, mais � partir de Remue-m�nage [quatri�me roman d'Eric Laurrent], �'a toujours �t� un grand plaisir pour moi de glisser �� et l� des choses qui me sont arriv�es, des d�tails v�cus, des souvenirs l�g�rement remodel�s� Mes livres sont extr�mement autobiographiques, mais je suis le seul � le voir. Sinon, la figure de l'auteur appara�t de temps � autre, un genre de clin d'�il�

Il n'y a pas vraiment d'intrigue dans vos livres, plut�t une structure avec des variations -un ou plusieurs couples qui se font ou se d�font suivant diff�rentes modalit�s, notamment� Ce qui compte, ce n'est pas tant l'histoire que la fa�on dont on la raconte ?

D�s mon premier livre, raconter des histoires ne m'a jamais int�ress�. J'ai la passion des mots, je les collectionne comme d'autres les timbres, je travaille beaucoup le lexique, mais aussi le rythme, les p�riodes, et je suis tr�s int�ress� par la grammaire, les r�gles de construction d'une phrase. La forme est l'une de mes pr�occupations principales. J'ai toujours pens� que j'avais une imagination extr�mement pauvre et quand j'ai commenc� � �crire, la po�sie m'int�ressait davantage que le roman. J'ai toujours eu ce fantasme de vider compl�tement le livre du r�cit, des personnages, des situations, pour faire se succ�der uniquement des sc�nes de pure contemplation. Je n'ai jamais r�ussi. J'ai fait plusieurs essais, mais cela ne fonctionnait pas. Du coup, je me suis install� dans des formes assez convenues, afin de jouer avec les st�r�otypes et les lieux communs de ces genres-l�, le genre romanesque et ses d�clinaisons, policier, sentimental, espionnage, burlesque, voire tragique� Quitte � s'accorder de temps � autre des moments d'�chapp�e belle o� le r�cit bifurque, recule, se suspend.

Le vieux r�ve du livre sur rien�

C'est pour �a que je choisis toujours les sc�narios les plus convenus possibles : pour m'en d�barrasser. Remue-m�nage, c'est l'histoire de deux colocataires qui tombent amoureux suivant un catalogue de clich�s� Pour d�cider de l'intrigue, j'ai enfil� les sitcoms, les feuilletons sentimentaux, j'ai lu du Barbara Cartland, et je me suis inspir� des com�dies am�ricaines des ann�es 30, 40, 50 : Cukor, Lubitsch, Billy Wilder�

Et Dehors, le roman suivant, �tait un d�veloppement de Remue-m�nage ? Plus de personnages, plus de chass�s-crois�s amoureux, plus de sophistication dans le marivaudage ?

J'ai �crit Remue-m�nage dans des circonstances �tranges. J'avais publi� trois livres aux �ditions de Minuit pour lesquels on ne m'avait demand� aucun changement, j'avais trente-deux ans, un certain succ�s critique, et soudain j'ai pens� qu'� pr�sent les romans c'�tait termin� : je pouvais arr�ter d'�crire des histoires et faire ce que je voulais. J'ai alors �crit coup sur coup deux livres pseudo-exp�rimentaux que les �ditions de Minuit ont refus�. Ce qui m'a beaucoup d�courag�, je me suis vraiment remis en question. C'est alors qu'est venu Remue-m�nage, pour lequel j'ai r�utilis� des bouts des livres refus�s et repris des st�r�otypes de la litt�rature Harlequin et du feuilleton sentimental pour l'intrigue. Vu les �checs pr�c�dents, je me suis montr� tr�s prudent et je me suis impos� la simplicit� : tr�s peu de personnages, tr�s peu de situations. Puis Remue-m�nage a �t� accept� et je me suis dit que j'avais p�ch� par d�faut, que j'aurais pu aller plus loin. D'o� Dehors. Je voulais d'ailleurs �crire une trilogie dans cette veine des chass�s-crois�s amoureux, qui sait d'ailleurs si elle ne verra pas le jour un peu plus tard�

Et comment situez-vous Ne pas toucher par rapport � ces deux livres ?

Il ne s'inscrit pas dans une continuit�, sinon du point de vue de l'�criture. C'est � cet �gard l'aboutissement d'un cycle dans la mesure o� c'est une sortie du roman -passag�re ou d�finitive. Toutes les influences que j'ai eues comme auteur ou lecteur y sont -Flaubert, Proust, des vers de Racine, de Mallarm�, une page construite sur des alexandrins... Je me suis amus� comme un fou. J'ai d'ailleurs beaucoup gomm� pour �viter l'exc�s de clins d'�il et de pastiches -m�me si je consid�re que la litt�rature est avant tout un art de la combinatoire, un travail et un d�tournement de traditions et de formes pr�existantes.
Apr�s ce livre, j'ai eu le sentiment que je ma�trisais un certain nombre de techniques et qu'il �tait temps de passer � autre chose. Comme si tout ce que j'avais fait jusqu'ici �tait des exercices de style. J'ai eu beaucoup de chance d'�tre publi�, mais c'est un peu comme si j'avais fait mes gammes en public au lieu de les faire dans le silence d'une chambre.

Vous partagez beaucoup des refus du Nouveau Roman� Comment est-ce que vous vous situez par rapport � ce mouvement ?

Disons que je sais ma dette. Mais il y avait une radicalit�, tant chez Beckett, Simon, Robbe-Grillet que Pinget, un rejet des anciennes formes tandis que je les ai r�investies en m'inscrivant dans une continuit� par rapport � la tradition romanesque. Et puis dans mes livres il y a toujours des personnages, une histoire avec un d�but et une fin... En fait, je me suis toujours dit qu'on ne pouvait pas aller plus loin que Beckett dans la d�construction et l'abstraction. Quand j'ai commenc� � �crire, j'avais l'impression d'�tre dans la situation d'un peintre qui veut refaire de la figuration apr�s Carr� blanc sur fond blanc� Les Atomiques [deuxi�me roman d'Eric Laurrent] a �t� �crit � l'ombre de Beckett, de ses personnages qui n'existent qu'� peine et trouvent encore le moyen de s'effacer, de se dissoudre davantage dans le n�ant, comme dans Malone meurt. Beckett a �puis� le roman par le vide, j'ai voulu dans Les Atomiques l'�puiser par le trop-plein. Or, quel est le genre romanesque o� il se passe le plus de choses ? Le roman d'espionnage. Du coup, j'ai �crit un roman d'espionnage fourre-tout o� il se passe sans cesse tout et n'importe quoi, un rebondissement � chaque page� Compl�tement d�lirant. J'aurais sans doute honte en le relisant aujourd'hui, mais j'avais besoin de passer par l�.

Quittons la forme pour le fond : le discours amoureux est un th�me r�current dans vos livres� Vous vous consid�rez comme un moraliste ?

Peut-�tre, dans la mesure o� il s'agit d'analyser le c�ur et ses raisons � la fa�on d'un La Rochefoucauld -pas de sentimentalisme mais des constats sans fard, assez d�sesp�r�s. Cela m'a toujours beaucoup int�ress�, d'autant que j'ai toujours eu une vie sentimentale chaotique. Dans le livre que j'�cris actuellement [une autobiographie qui d�tourne les conventions du genre], il y a �galement une interrogation sur le fonctionnement du d�sir et la cristallisation amoureuse. J'ai toujours voulu comprendre, d�gager des lois g�n�rales -vieux projet proustien- d'autant que je m'estime sans aucune illusion sur ce plan-l�. Ce qui me passionne, c'est l'amour quand il n'est pas id�alis� (d'o� pr�cis�ment mon int�r�t pour Proust et sa dissection des sentiments). J'ai une vision tr�s noire, tr�s pessimiste des rapports amoureux. Ce qui ne m'emp�che pas de tomber amoureux, et justement, on en revient � ce que je disais tout � l'heure : on sait qu'on va souffrir et pourtant on se lance� On souffre horriblement et pourtant on reste embourb� dans cette souffrance. Pourquoi ?

Vous brodez sur le canevas de la vanit� du d�sir, vous �voquez Beckett� En d�finitive, ne livrez-vous pas une nouvelle version de l'absurde, plus tonique parce que faussement l�g�re et �maill�e de traits d'esprit ?

Je me consid�re comme un joyeux pessimiste. " Mieux vaut en rire de peur d'�tre oblig� d'en pleurer ", comme dirait Bossuet, ou si vous pr�f�rez : " Rien de ce qui est fatal ne doit nous affliger " pour citer les Sto�ciens.

Propos recueillis par Minh Tran Huy


 
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