#113 - Du 15 novembre au 08 d�cembre 2008

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D�placements immobiles : Lise Beninca : ?


En 2007, Fran�ois Bon a cr�� la collection � d�placements � aux �ditions du Seuil. Empruntant son nom � Henri Michaux, elle est destin�e � accueillir des textes contemporains, innovants dans leur forme, au rythme de six titres par an. Elle accorde une place particuli�re aux jeunes auteurs et aux premiers textes. Balayer, fermer, partir de Lise Beninc� est le cinqui�me titre de cette collection.

Le lieu est au c�ur de la r�flexion que vous d�veloppez dans ce texte. Il y a celui o� l�on vit et se prom�ne. Mais il y a aussi le corps, comme lieu qui abrite notre personne.

Je trouve qu� Esp�ces d�espaces de Georges Perec est un livre philosophique, m�me s�il ne pr�tend pas tout l��tre : sur la fa�on dont on se situe dans ce monde qui est tellement vaste autour de nous. Habiter dans un appartement, c�est s�offrir des cloisons qui nous permettent de supporter l�infini qui nous entoure et que l�on incapable d�imaginer. Perec parle tr�s bien de ces lieux qui s�encastrent les uns dans les autres. Il parle ensuite des d�tails de ces lieux, comme le mur, en en mettant en valeur l�ambivalence puisque le mur est protecteur et enfermant la fois. Mais il y a une chose � laquelle il me semble que Perec n�a pas touch� : le premier lieu, � savoir le corps. Ce que j�avais envie de travailler dans l��criture �tait l�id�e de la perception, de la sensation. Or, c�est � travers son corps que l�on per�oit les choses. On est soi-m�me fig� dans ce lieu que l�on nous donne � la naissance, autour duquel le monde s�organise par la suite.

La recherche de la sensation transpara�t d�ailleurs dans l��criture. En vous lisant, l�on a parfois autant l�impression de lire des mots que de voir les paysages ou les environnements dans lesquels les actions prennent place�

Ce que j�ai essay� de produire dans l��criture et son rythme, c�est que le lecteur se sente projet� � l�int�rieur de la personne qui parle. Les sensations dont je parle sont finalement assez communes : l�angoisse, le d�soeuvrement, l�inqui�tude, tout le monde a ressenti �a � un moment.
Le r�cit n�est pas lin�aire. Ce sont des paragraphes isol�s. Afin que le lecteur soit projet� dans les pens�es de la narratrice, j�avais envie qu�il y ait une sensation par paragraphe.
Au niveau visuel, ce sont surtout les couleurs qui ressurgissent. Par exemple, un feu de signalisation qui clignote ou qui passe du vert, � l�orange, puis au rouge, sont des choses que l�on ne regarde m�me plus, qu�on ne per�oit plus alors que nous sommes entour�s de signaux et qu�il suffit que l�on passe un filtre pour ne plus percevoir autre chose. Ce qui en ressurgit peut �tre tr�s �tonnant. Lorsque la narratrice sort, elle per�oit les voitures qui passent et repassent, les feux qui changent de couleur, des choses qui rythment un univers et qui la rassurent puisque lorsqu�elle se retrouve seule dans une pi�ce, elle se met � compter les petits carreaux. Comme quand on compte les moutons avant de s�endormir, cela oblige le corps � rentrer dans un rythme qui apaise les sens.

Un lieu existe concr�tement et g�ographiquement. Il peut �galement �tre rappel�, voire recr�� par la m�moire, th�me qui est �galement au c�ur de ce texte.
Oui, les sauts de la m�moire, les r�miniscences m�interpellent. On est parfois envahi de sensations sans savoir ce par quoi elles sont provoqu�es. En r�alit�, elles le sont par des r�miniscences de choses dont on n�a pas eu conscience. Dans le livre, la narratrice vient de perdre son p�re et, m�me si elle ne veut pas se sentir touch�e par cet �v�nement, de nombreuses choses li�es au p�re et � la maison qu�il a construite ressurgissent malgr� elle.

Du fait de la forme et de la structure des phrases, qui sont tr�s courtes et jamais d�monstratives, une grande place est laiss�e au lecteur pour qu�il y projette ses propres souvenirs, et qu�il prenne le temps de s�interroger�.
J�avais un peu peur de produire le sentiment inverse car je trouve mon �criture assez froide et aride. Il y avait des fioritures au d�part, dont j�ai cherch� � me d�barrasser car je voulais arriver � quelque chose de sobre, sans qu�il emp�che toutefois l��motion de surgir.
Mon intention �tait de ne pas trop broder, de limiter le bavardage afin de pointer une sensation. Ensuite, c�est au lecteur de se l�approprier car chacun ressent diff�remment un m�me sentiment.

Quelle est la signification de cette pi�ce ferm�e ? Est-ce une fa�on de questionner le vide, l�inconnu, qui embarrasse tout �tre humain ?

Cette pi�ce ferm�e est le bureau utilis� par l�ami de la narratrice qui est parti en voyage. La narratrice se retrouve donc dans un appartement trop grand pour elle. Elle a l�impression que l�appartement a trop de pr�sence par rapport � ce qu�elle est capable d�occuper comme espace. Elle n�ose plus ouvrir cette porte de peur que l�espace ait pris une pr�sence �trang�re. C�est le reflet de tout ce qu�elle est en train de vivre suite � la mort de son p�re, de choses troublantes qui remontent et qu�elle est en train de refouler. Cela repr�sente donc les espaces que l�on porte en soi et qui nous ferm�s. Cela repr�sente aussi l�appr�hension face � l�inconnu, que nous avons tous dans la vie. Ce sont des angoisses primaires que j�ai voulu symboliser par cet espace ferm� qui, bizarrement, tend � mener une vie parall�le qui finit par effrayer, en d�pit de toute tentative de raisonnement rationnel.

Cela renvoie aussi au constat de Perec qu�il est insupportable d�avoir une pi�ce sans fonction ?
Oui. La narratrice n�a aucun besoin d�acc�der � ce bureau. Elle ne sait pas quoi en faire parce qu�elle ne la ma�trise pas. Cet espace qui se personnifie commence � la g�ner, � l�inqui�ter. Comme le dit Perec, une chambre sert � dormir, une cuisine, � faire � manger� Imaginer une pi�ce sans fonctionnalit� para�t compl�tement absurde. Les lieux ont donc des raisons d��tres.

Le personnage du p�re, qui devient esclave du lieu qu�il b�tit, obs�d� par l�id�e qu�il ne doit pas �tre ab�m�, occup� � effacer toute trace d�obsolescence au point de fr�ler la folie, est-il un moyen de souligner que les lieux peuvent devenir tyranniques envers les hommes ?

Cela rejoint l�id�e du corps. Ce p�re construit sa maison comme une deuxi�me peau autour de son corps, comme un corps qu�il aurait pu se choisir lui-m�me. Au d�part, il construit cette maison pour accueillir sa famille. Mais ce qui devait �tre protecteur en vient � exclure les autres qui deviennent des intrus dans l�espace qu�il s�est cr��. Il finit par s�enfermer lui-m�me dans sa coquille protectrice � Cela se finit tr�s mal.

Est-ce une fa�on de souligner l�emprise que peut avoir un lieu sur le comportement d�une personne, de montrer qu�il ne va pas de soi d�occuper un lieu ?

On a un rapport particulier au lieu dans lequel on vit. M�me pr�ter son appartement n�est pas �vident. Parce que c�est un peu une extension de notre personnalit� quelque part. Quand on dit de quelqu�un qu�il sait bien habiter un espace, c�est qu�elle arrive � transmettre au lieu autour d�elle des choses qui viennent d�elle et qu�elle va faire rayonner dans l�espace. Lorsque l�on va chez quelqu�un pour la premi�re fois on ne peut d�ailleurs s�emp�cher de penser des choses.

En dehors de Perec, qui est la source d�inspiration la plus �vidente de ce texte, y a-t-il d�autres �crivains qui vous ont aid�s, guid�s, orient�s dans votre �criture ?

J�ai beaucoup travailler pour �laguer le texte qui �tait beaucoup plus lyrique. La forme ne me convenait pas. Je sentais que je n�avais pas trouv� ma voix. C�est Marguerite Duras qui m�y a aid�e. Non pas que je pense �crire comme elle, mais elle arrive � avoir des phrases assez osseuses, qui ne sont pas enrob�es. Et je pense que cette mani�re d��crire convenait vraiment mieux � ce que j�avais � dire.Il n�y a aucun parall�le � faire entre ses textes et ce que j�ai �crit. Et tant mieux, car n�ai pas voulu la copier, mais elle m�a appris quelque chose.

Perec est aussi connu pour son recours � la contrainte en �criture. Vous ne lui avez pas emprunt� cette r�gle en tant que telle mais on sent que vous vous �tes impos� une grande rigueur dans l��criture.

Je ne me suis pas fix� de contraintes comme Perec, qui faisait intervenir les math�matiques et introduisait une notion de jeu. Dans la postface, je dis que l��criture est aussi le support de ce qu�elle a � dire. Tel �tait mon objectif de d�part; trouver une fa�on d��crire qui serve le propos. Cela m�a pris du temps. Ce n�est que petit � petit que j�ai compris que cette forme �tait celle qui convenait. Mais la lecture de Perec m�a fourni de grandes le�ons. Notamment sur le fait qu�il passe son temps � lister des choses. C�est la preuve que l��motion peut surgir simplement par la description de lieux qui nous entourent.

En revanche, il y a une contrainte qui a surgi apr�s coup : la postface qui est demand�e � tous les auteurs publi�s dans la collection � d�placements �. Cela a-t-il �t� un exercice p�nible ou bien cela vous a t-il permis de red�couvrir certains aspects de votre texte ?

Il y a eu les deux. J�ai mis du temps � �crire ce texte et j�avais l�impression de m��tre d�j� �puis�e � dire ce que j�avais � dire. Quand on m�a demand� d��crire un texte dessus, ma premi�re r�action a �t� de me dire que j�avais d�j� dit tout ce que j�avais � dire et que je n�aurais pu �crire que sur un autre sujet. Je me sentais s�che. Mais ce passage �tant oblig�, j�y ai r�fl�chi et je me suis dit que j�allais parler des r�f�rences qui m�avaient guid�es. J�ai pu cerner plus clairement l�intention que j�avais depuis le d�part, mais qui �tait peut-�tre plus floue, plus intuitive. Finalement, je suis tr�s contente qu�il y ait cette postface qui permet de mettre un peu ma r�flexion en perspective, l� o� la fin du r�cit peut sembler assez dure et ferm�e sur elle-m�me. Cette postface constitue un chapitre final du livre.

Elle permet �galement d�expliquer le titre.

Oui, je me sentais redevable � cet �gard �galement. Au d�part mon texte avait un titre beaucoup plus banal : � lieux immobiles �. Mais �a ne fonctionnait pas avec le nom de la collection. J�ai donc relu Esp�ces d�espaces. Le titre est issu du chapitre qui s�intitule � d�m�nager �, dans lequel il fait la description d�un d�m�nagement en recourant uniquement � une succession de verbes � l�infinitif. � Balayer, fermer, partir � �voque une histoire. Sans savoir quelle histoire est racont�e, une �nergie, une dynamique, se d�gage de ces trois verbes.

L�anecdote de l�inscription figurant sur le sac de pl�tre n�est donc qu�un hasard ?

Oui, cela fait partie des belles surprises quand on commence � observer les signes. Il y a eu des travaux dans ma cage d�escalier et lorsque je suis sortie un matin sur la palier, je suis tomb�e sur un sac de pl�tre qui portait cette inscription : � reboucher, sceller, enduire �. Je venais juste de trouver le titre et cela y a fait �cho. J�ai donc tenu � les r�utiliser � la fin. C��tait une fa�on de boucler la boucle.

Propos recueillis par Laurence Bourgeon


 
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