#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Xabi Molia: reprise des �changes en milieu temp�r�


C�est en voisin, d�tendu et souriant, que Xabi Molia vient parler de son quatri�me livre. Prise de contact plut�t pacifique autour de Reprise des hostilit�s. O� il est question de litt�rature �videmment, mais aussi de voyages et de politique�

Reprise des hostilit�s, Suppl�ment aux mondes inhabit�s. De fa�on g�n�rale, vous semblez accorder un soin particulier aux titres. Comment doit-on prendre le dernier?

J�ai mis beaucoup de temps � le trouver. Selon moi, un titre doit avoir deux qualit�s : se suffire � lui-m�me comme une proposition en m�me temps qu�il multiplie les pistes de lecture. Je ne peux donc pas clore la signification du titre mais l�on retrouve dans le livre, entre autres, le motif de la r�p�tition : d�une vie terrestre au paradis, d�un certain nombre de motifs litt�raires. Par rapport au combat politique ensuite, il y a quelque chose qui fait retour sous une forme l�g�rement diff�rente : les hostilit�s reprennent mais dans un autre cadre.

Marin, dans votre dernier roman, Victor dans le pr�c�dent, vos h�ros semblent toujours en d�sh�rence, quelque peu inaptes � nouer des relations constructives avec les autres. Faut-il y voir l�expression d�un mal-�tre g�n�rationnel ?

Ce sont des personnages qui expriment un mal-�tre existentiel qui est effectivement assez r�pandu aujourd�hui et qui repose sur une sorte de d�calage, que je trouve tr�s romanesque, entre le d�sir et l�action. Mais ce sont aussi des types de personnages que l�on trouve dans des livres que j�aime beaucoup. En cela, je n�ai fait que transporter des personnages que l�on trouve chez Flaubert ou chez Kafka, c�est-�-dire des personnages irr�solus, et qui se heurtent � des situations de malentendus, de g�ne. Je trouve assez int�ressantes certaines situations extraordinaires � partir du moment o� elles arrivent � des gens ordinaires.
Je pense aussi que la civilisation actuelle fait de nous des �tres romanesques dans notre fa�on de percevoir la vie. On nous propose en permanence une multitude de parcours possibles, de voies vers une autre existence. On n�est certainement pas tous aussi mythomanes que mes personnages mais l�on partage tous ce penchant � imaginer une autre vie. Sauf qu�il est extr�mement difficile de franchir le pas. C��tait encore plus vrai du personnage de mon pr�c�dent roman, qui mentait vraiment, mais c�est aussi un peu vrai de Marin qui s�imagine la fin du monde, devenir peut-�tre sc�nariste de cin�ma, la jeune fille id�ale, etc�

Vos romans semblent v�hiculer une vision assez pessimiste de l�homme qui ne serait qu�un � suppl�ment � totalement superflu, rompant l�harmonie de la nature.

Cette derni�re phrase de Suppl�ment aux mondes inhabit�s �tait un emprunt, une citation du Paris-match de l��poque sur Neil Armstrong. Je ne suis donc pas totalement en accord avec elle. Cela dit, j�ai relu r�cemment une phrase de L�vi Strauss : � Le monde a commenc� sans l�homme et finira sans lui � et ce n�est pas extr�mement �loign� de ce que je peux penser. Je ne sais pas si c�est vraiment du pessimisme. Je ne le prends pas encore au s�rieux. Je cr�e des personnages pessimistes avant tout parce qu�ils sont fondamentalement dr�les, une source de jubilation.

D�o� n�anmoins le souci permanent de s��vader, d��chapper au monde qui nous entoure tel qu�il est. Vous imaginez ainsi un paradis d�un genre assez particulier.

Quand j�ai voulu imaginer le paradis, je me suis dis qu�il devait ressembler � ce � quoi la majorit� des gens aspirent : une vie d�pourvue de souci mat�riel, comme un grand club de vacances� Mais l�on y meurt aussi au bout d�un temps ; ce n�est qu�une transition. Cela est d� au fait que je ne suis pas du tout croyant et il me semblait plus int�ressant de penser que la vie apr�s la mort n��tait pas un esp�ce d�infini de l�ennui mais une p�riode de r�compense en fait assez br�ve dont il faut profiter au maximum.

Quelle qu�en soit la forme, le souci d��vasion semble r�current. Cette recherche d�un ailleurs transpara�t aussi bien dans vos titres que dans les r�f�rences fr�quentes � la Lune, au paradis, comme un souci de cr�er sa propre g�ographie du monde.

Cette r�currence est certainement li�e � l�id�e de concevoir un peu la litt�rature comme un espace et donc de nommer des livres comme on peut nommer des lieux ou d�signer une place � ce qu�on fait. Le contraire du lieu, mon recueil de po�sie, s�attache � d�signer la po�sie comme un acte qui n�a pas de place assign�e, de non lieu permanent. Il est vrai aussi que j�ai un imaginaire exotique car je voyage beaucoup et tous ces mondes lunaires et souterrains m�int�ressent.

A la fin du livre figure une liste d�auteurs qui vous ont inspir� pour l��criture de ce texte. Constituent-ils un h�ritage litt�raire que vous souhaitez prolonger ou plut�t rompre ?

Il n�a �t� possible d��crire pour moi qu�� partir du moment o� j�ai vu qu�il �tait possible de r��crire, de faire une �uvre singuli�re � partir des textes des autres. C�est la th�matique de mon roman Fourbi, qui est celle de la reprise, du pastiche.
Exposer la dimension litt�raire d�un texte c�est aussi signaler que ce livre est constitu� de r�f�rences. Je trouve int�ressant de les reprendre consciemment et de m�en d�marquer plus consciemment aussi. Et m�me si je ne suis pas le seul � faire de tels emprunts, au final, la combinaison que j�en fais demeure singuli�re. Il peut toutefois m�arriver de refuser des textes qui sont trop proches de ceux que je veux faire. Par exemple, quand j�ai termin� la premi�re version de Reprise des hostilit�s, sortait Au piano de Jean Echenoz, qui y parcourt un peu le m�me territoire que moi. Cela m�a �videmment d�stabilis� mais ce n�est pas oppressant dans la mesure cela arrive en permanence. Il faut plut�t y voir un moyen d��tablir des �chos.

La filiation avec Houellebecq est syst�matiquement �tablie lorsque l�on pr�sente votre oeuvre? Vous y reconnaissez-vous ?

Ce qui est un peu dommage, c�est qu�on a l�impression que c�est lui qui a invent� l�id�e d�un roman fran�ais avec une id�e observatrice ou descriptive du monde. Il l�a peut-�tre remis au go�t du jour en rompant avec une forme du roman un peu plus ferm� sur lui-m�me (autofiction ou exp�rimentation). Mais c�est oublier que Houellebecq lui-m�me est dans une filiation qui est celle, r�aliste, du roman fran�ais du XIX� si�cle. Cela dit, le rapprochement ne me g�ne pas plus que �a parce que je pense que Houellebecq �a a de la valeur. Mais j�ai une pr�occupation qui, j�esp�re, fera que l�on me distinguera de lui. C�est l�id�e que dans la banalit� de l�existence, il puisse d�introduire de l�extravagance et notamment une imagination nourrie de d�sirs. Je m�int�resse � la fa�on dont la fiction peut s�introduire dans la vie des gens. Tout cela est tr�s proche de Jean-Philippe Toussaint qui raconte des histoires de jeunes hommes qui sont tr�s vell�itaires et � qui il n�arrive jamais rien.

Le th�me du politique, sous-jacent dans les pr�c�dents romans, est central dans celui-ci avec le personnage de Bel, un populiste en puissance. Faut-il voir dans votre livre une sorte de manifeste ou du moins de mise en garde � l�intention des candidats actuels ?

Non, je ne crois pas qu�il y ait quelque chose de l�ordre du message, ni de la proph�tie car je ne crois pas que, actuellement, l��criture ait tant de pouvoir. Quand la litt�rature est messag�re, elle a d�ailleurs tendance � m�ennuyer. Mais j�ai �t� interpell� par deux faits politiques qui m�ont fait r�aliser qu�il se passait des choses dont il me semblait important de rendre compte : le retour et la m�tamorphose d�un certain populisme qui est beaucoup plus insidieux, masqu�, mais qui poss�de une certaine l�gitimit� parce qu�il se coule dans des formes respectables.
En France, j�avais �t� particuli�rement frapp� par les alliances qui avaient �t� faites au moment des r�gionales du milieu des ann�es 90 entre la droite traditionnelle et l�extr�me droite pour gagner des conseils r�gionaux. Ensuite, il y a la droite de Berlusconi, qui est populiste, incoh�rente. A la diff�rence des fascistes, ce ne sont pas des id�ologues, mais plut�t des aventuriers de la politique. Ils sondent l�opinion et utilisent des peurs, des d�sirs, capables d�en changer selon les opportunit�s � ce qui est le cas de Bel qui essaye d�abord d�exploiter l�image traditionnelle de la France avant de se tourner vers l�art contemporain pour se forger une image plus jeune. La situation que je d�cris est � l�heure actuelle totalement fictive car il n�y a pas en France une droite populiste qui se situerait entre une droite traditionnelle et une extr�me droite beaucoup plus id�ologique comme celle de Le Pen. Mais ce genre de partis existe en Italie et dans d�autres pays d�Europe�

L� encore c�est donc le potentiel romanesque des situations et des personnages qui vous a orient� vers ces personnages plut�t que la volont� de d�livrer un message ?

Ce qui m�a beaucoup int�ress� est le type de langage d�velopp� par ces hommes politiques. Cela peut produire des discours tr�s inventifs car ce sont un peu des discours "attrape-tout" : des n�ologismes, des r�f�rences litt�raires mal dig�r�es, du latin, de l�argot. Mon personnage est ainsi rempli de contradictions : mal d�grossi et nourri de diverses r�f�rences.
J�ai eu moi-m�me une exp�rience de militantisme dans l�association Ral�front, dont je me suis inspir� pour d�crire le fonctionnement d�une association militante. Mais j�en suis sorti extr�mement d��u parce qu�on �tait dans la diabolisation de l�adversaire et l'utilisation de clich�s id�ologiques inop�rants. Nous ne sommes plus menac�s par le fascisme. Il n�y a pas � h�siter sur le combat mais il se situe sur un terrain �minemment plus complexe parce qu�il nous confronte � des personnages qui m�langent des �lans de g�n�rosit�, une tr�s grande duret� verbale, la stigmatisation, l�espoir et des mesures sociales et r�pressives. Ils sont beaucoup plus int�ressants d�un point de vue romanesque car ils ne sont pas int�gralement d�testables. J�ai tent� de reprendre cette id�e avec Joseph Bel. Je voulais qu�au fil des pages, le lecteur glisse d�un personnage � un autre, qu�il ait des c�t�s troublants parce qu�on se rend compte qu�il y a pire que lui.

La deuxi�me partie du roman s�intitule � Histoire des vaincus � . Or, ce sont plut�t des hommes de l�ombre qui ressortent. Passerait-on � c�t� des h�ros r�els de l�histoire ou tels qu�ils nous sont pr�sent�s par une certaine r�alit� historique ?

J�ai la passion des oubli�s, des farfelus, des extravagants qui ont eu des grandes id�es qui n�ont men� � rien. Si, avec la litt�rature, je peux faire honneur � leur m�moire, c�est plut�t une belle occasion. Mais il y a aussi un jeu avec le lecteur pour d�m�ler le vrai du faux. Certaines anecdotes sont totalement vraies et d�autres non. Mais tout est �crit avec le m�me degr� de fiabilit�. C�est donc au lecteur d�adopter une attitude de m�fiance. Pour moi un roman n�est pas un livre de v�rit�. Cette capacit� � produire du faux sous les apparences du vrai est quelque chose que j�ai trouv� chez Georges Perec. C�est une fa�on de signifier ce qu�est la litt�rature par rapport � d�autres discours. Contrairement au discours des sectes ou des politiques, qui recourent au langage de la certitude, le romancier est dans le questionnement permanent. Ce qui requiert de la part du lecteur une distance, un �tat de vigilance. Un livre doit �tre suspect d�inutilit�.

On peut trouver dans votre �criture un emprunt � la m�thode cin�matographique du montage (utilisation des fragments, des sauts temporels). Vous avez d�ailleurs r�alis� quelques courts-m�trages. Avez-vous souhait� �tablir un dialogue entre les deux arts ?

La technique des allers-retours, le mode de narration par des sc�nes en fragments est quelque chose qui est d�j� pratiqu� dans beaucoup de livres. Je n�ai pas eu l�impression de faire un emprunt particulier au cin�ma en la mati�re.
En revanche, je suis autant influenc� par les films que j�ai vus que par les livres que j�ai lus. Par exemple, Suppl�ment aux mondes inhabit�s �tait une sorte de variation sur Taxi driver. Mais je crois � une ind�pendance de deux mediums. J�aime l�id�e qu�un roman ne soit pas adaptable et qu�un film ne vaille que par lui-m�me.

Photo: Sebastien Dolidon

Propos recueillis par Laurence Bourgeon


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