#0 - Du 20 f�vrier au 15 mars 2008

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Tarek Issaoui : Ici, l�-bas et au-del�


Si l'on d�livre un pr�cieux secret � des hommes qui ne veulent pas sp�cifiquement le conna�tre, qu'en font-ils ? A cette question aux allures universelles, Tarek Issaoui r�pond dans Bleu univers, son dernier roman : des bibelots pendus aux r�troviseurs des taxis. Tarek Issaoui arrive avec un grand sourire derri�re lequel d�borde une personnalit� �tonnante. On lui pardonne ais�ment son retard : Lorsqu'on tutoie un peu trop les �toiles, �a peut devenir difficile de se rep�rer sur cette bonne vieille Terre. La t�te dans les nuages, Tarek ? Plut�t dans un ciel bleu nuit voire black.

Zone litt�raire: Les scientifiques se comptent sur les doigts d'une main dans la litt�rature fran�aise... Comment est n� ce roman ?

Tarek Issaoui: Je suis pass� par l'Ecole polytechnique et j'ai gravit� un peu dans le monde matheux et des physiciens. J'ai notamment un bon ami qui fait supr�mement des maths et pour moi ce type �tait un � personnage �. Je voulais partir de lui. Et ce qui me plaisait beaucoup chez cet homme qui fait des math�matiques tr�s pures et abstraites, c'est justement la tension qu' il y avait dans sa vie entre l'abstraction ahurissante, une sorte de langage tr�s complexe qu�il d�veloppe chaque jour dans sa recherche et, parall�lement, le fait qu'il devait bien vivre, faire ses courses, aller aux toilettes� Une sorte de tension entre l�infiniment grand et l'infiniment petit. La question qui m'int�ressait �tait de savoir comment est-ce qu'on transige avec le quotidien lorsqu'en m�me temps on est dans une qu�te d'absolu. Je pourrais aussi parler de l'�crivain, de l'artiste : tous ces gens qui se jettent � corps perdu dans une aventure c�r�brale, mentale mais qui en m�me temps doivent faire avec leur quotidien. �a me plaisait de rentrer dans le cerveau d'un mec qui �tait � � l'ouest �. �a c'est le point de d�part. Ensuite, un jour je feuilletais un magazine f�minin et je vois un article assez d�cal� sur un s�minaire de physique � Santa Barbara avec des physiciens sur le point de trouver la forme de l'univers. J'avais trouv� mon d�cor.

Zone litt�raire: Voil� pour le personnage et quelques �l�ments de d�cor... Mais comment s'est alors affin� ta d�marche ?

TI: Je me suis donc mis � travailler autour de ce personnage que je connais bien et je voulais le plonger dans cette id�e assez ahurissante de trouver la forme de l'univers. J'ai voulu alors faire bouger et voyager ce cerveau. Qu' est-ce que c'est la forme ? On pense vite aussi � la forme litt�raire, la forme artistique� Dans le livre je parle pas mal d'Hans Bellmer avec son obsession des formes, ses poup�es qui se d�construisent. Le livre, il oscille comme �a entre la vie normale et une obsession de la forme. Mon gars, il devient obs�d� des formes et la forme de l'univers est la forme ultime, tu ne peux pas faire � plus forme � que cette forme, ce sera la derni�re, il n'y aura pas plus lointain. Je me suis aussi document� �norm�ment. Je n'ai jamais mis les pieds a Mauna Kea, le lieu o� se rend le personnage mais avec Internet et les Web Cam� tout est possible.

Zone: Bleu Univers... plutot intrigant comme titre, comment y �tes vous venu ?

TI: Le premier titre c'�tait Mauna Kea. Je le trouvais tr�s beau, tr�s musical mais j'ai choisi de le changer. Fallait montrer un peu la couleur de ce que l'on allait voir. J'avais justement fait des recherches sur Internet pour savoir quelles �taient les expressions avec le mot univers et j'ai trouv� la couleur dt�un vieux mod�le de Ford Escort : bleu univers. J'ai aim� cette histoire de voiture assez absurde. Et puis y aussi cette autre question : est-ce que �a a un sens de donner une couleur � notre univers puisqu'on est dedans et que par l�-m�me il est difficile de l'observer et de le qualifier ?

Zone: Science, cosmogonie et abstraction parfois... Le propos de Bleu Univers est pour le moins ambitieux, � la fois en termes de lecture et d'�criture !

TI: J'ai conscience que je ne me suis pas rendu la tache facile avec un livre pareil et c'est tout l'hommage que je rends � St�phane Million d'avoir eu le courage de le publier. Avec la premi�re page, j'ai voulu m'adresser au lecteur. C'est une sorte de promesse : je vais essayer de t'emmener loin, et je vais essayer aussi de te parler de toi. Le livre est � la premi�re personne, c'est une plong�e dans un cerveau. Il fallait une sorte d'entr�e en mati�re pour le lecteur. Ceci �tant dit, c'est la seule chose que j'ai faite pour faciliter le travail du lecteur. Pour le reste je me suis l�ch� totalement. J'ai oubli� totalement le lecteur, je suis parti avec ce cerveau et je suis rentr� dedans jusqu� au bout. Lorsque j'�cris, j'ai souvent le d�cor avant d'avoir l'histoire. Je me fous de l'histoire. �a ne m'int�resse pas. C'est juste un moyen, je n'ai pas la pr�tention de raconter des choses qui n'ont jamais �t� racont�es et je suis assez convaincu que tout a �t� racont� d�j�. C'est juste qu'il faut adapter � ce que tu veux dire. Seuls les personnages sont importants.

Zone: Redevenu salari� d'une banque internationale, apr�s avoir �t� trader, quelle est, aujourd'hui, la place de la litt�rature dans votre parcours ?

TI: Je n'accroche pas pr�cis�ment au mythe de l'�crivain ni au mythe de l'�criture comme une � aventure moderne �. Je ne le vis pas comme �a, je ne vais pas dans les rues de Paris, mon �charpe dans le vent (rires)� J'ai beaucoup de mal � me dire � �crivain � d'un point de vue social� Une chose s�re, je continuerai � �crire. Mais je ne prend pas trop les choses au s�rieux. Tout cela me semble tr�s �trange, ce n'est pas mon monde. Mon monde, c'est devant ma table quand j'�cris. Point. Et c'est un peu comme le personnage du roman.
Je travaille dans la finance et j'ai �norm�ment de passions diff�rentes. Je ne m'inscris pas dans une carri�re. Apr�s la sortie de mon premier roman( J'ai, �ditions Stock), j'ai arr�t� la finance temporairement . J'ai eu beaucoup de temps pour �crire et j'ai moins bien �crit. L'�criture c'est, pour moi, un temps pris sur autre chose, un temps de combat pour qui justifie que cela en vaille sacr�ment la peine. Un temps pris sur le monde ext�rieur et les activit�s quotidiennes et qui te coupes du r�el en action.

Zone: Comme le personnage de Bleu Univers en fin de compte� ?

TI: Oui , il y a un peu de �a c'est s�r. Je m'identifie � ce personnage. Je fais r�f�rence aux premiers astronautes qui sont all�s sur la lune. Ces gens-l� n'ont vraiment pas trouv� la clef de leur bonheur. Quand tu t'appelles Neil Armstrong et que tu es le premier homme � marcher sur la lune, tout comme lorsque tu es le personnage de mon roman et que tu as trouv� quelque chose d'aussi fort que le secret de la forme de l'univers, ou de la m�me mani�re quand tu es un peintre et que tu as l'impression d'avoir peint un chef d'�uvre absolu, tu n'as plus grand chose � attendre. Pour le personnage, c'est tr�s difficile de rentrer dans ces questions vastes et d'en ressortir pour parler avec des gens, se demander comment on va payer les imp�ts etc.

Zone: Vous citez un passage de la vie d'artiste, une chanson de L�o Ferr�, est-ce donc "pr�cis�ment la m�me chose" pour reprendre la derni�re phrase, que la vie de scientifique ?

TI: Bien s�r. C'est la m�me folie, on touche � un certain point de magie, j'aurais pu faire la m�me chose sur un peintre. Entre la vie d'artiste et la vie d'un chercheur scientifique il y a ce point commun ultime : c'est l'obsession. Ce math�maticien n�est pas fou, il est obs�d� et �a le m�ne tr�s loin. Et c'est pour cela que c'est dur de g�rer la vie quotidienne quand on est pass� � de l'autre c�t� �.

Zone: Le regard que porte le narrateur sur ses contemporains est plut�t sombre�

TI: Il craint que les hommes n'utilisent leur intelligence pour d�truire le paradis terrestre. C'est l'un des enjeux du livre que de dire : y-a-t-il une voie de sortie ? Peut-on essayer de concilier humanit� et nature ? Comment essayer de se respecter sans encombrer ? Le narrateur a sa solution. Moi je ne suis pas enti�rement pass� de l'autre c�t�, mais le personnage, lui, oui.

Zone: Dans quelle mesure �tes-vous d�j� � de l'autre cot� � ?

TI: Ce passage de l�autre c�t�, c'est lorsque tu exp�rimentes la tentation de la renonciation. Quand tu as l'envie de renoncer.
J'avais en t�te cette phrase de Mallarm� que je voulais mettre en exergue : "La seule activit� d'un homme qui se respecte � mes yeux est de mourir de faim en regardant l'azur" . Tout est dans cette phrase. Et d�s lors que tu as la tentation du renoncement, tu te demandes � quoi �a sert m�me moralement de s'activer, de combattre, de faire son chemin, sa place dans une soci�t�. C'est pour cela aussi que je collectionne les photos vintage de la NASA, tu peux regarder la terre, t'en exclure le temps d'un clich�. Il y a de moins en moins de place dans cette soci�t� pour les gens contemplatif. Tout va trop vite. Prendre le temps de m�diter, de se poser, c'est tout le travail d'un artiste. Le narrateur glisse vers la contemplation et se demande comment font ces hommes pour vivre normalement avec la conscience de leur finitude.

Zone: Est-ce que la seule solution est le renoncement ?

TI: Pour le personnage, oui. C'est pour cela que je pense que le livre aura une vie difficile car justement si tu balances du bleu � univers � � des gens qui n'ont pas forc�ment envie de cette sorte de violence l�, le r�flexe naturel et compr�hensible est de rejeter �a. Soit tu glisses du c�t� du renoncement, soit tu t'�chappes. Lorsqu'on aborde des questions de fini et d'infini c'est difficile de mettre �a en sc�ne et d'amener les gens � ces questionnements sans �tre brutal.
Il y a un dr�le de pessimisme dans le narrateur, un peu � la Bacri, c'est une sorte de mec un peu d�sabus�. Quand on prend du recul sur la vie sociale c'est tr�s absurde tout �a� Avoir conscience, c'est voir une vague et tenter de la retenir comme dans le travail de la pens�e. Tu as des vagues de conscience qui te viennent et ton autod�fense est de la faire partir. C'est comme un �crivain avec les id�es. C'est pour cela que "c'est pr�cis�ment la m�me chose". Disons que c'est bien plus beau de regarder les choses, bien plus excitant que de � faire �. Et la conclusion de tout cela est que justement, lorsqu'on prend trop conscience de ce que les hommes � font � avec leur intelligence, il y a certains secrets qu'on a envie de garder pour soi�

Photo: Sebastien Dolidon

Propos recueillis par Olivia Michel


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